J’ai passé mon enfance et adolescence dans les bus

Témoignage d’un lecteur lu sur Babelio

J’ai passé mon enfance et adolescence dans les bus, puisque mon père a géré à côté de notre maison une entreprise de transports publiques : bus de ligne et autocars de voyage. Pendant la guerre, les Allemands lui ont confisqué ses bus, sauf 2 qu’il avait démonté et caché dans les champs de betteraves d’un ami fermier. Pour redémarrer après la guerre il a pu acheter des bus Renault TN6 à plate-forme arrière ayant appartenu à la ville de Paris.
Si ces 2 deux antiquités avaient été utilisées pour le transport forcé de résistants ou Juifs pendant l’Occupation n’a évidemment pas été révélé à mon père.
Ce que les auteurs appellent les « bus de la honte » sont les bus de la Société des Transports en Commun de la Région Parisienne (STCRP) qui ont constitué « un maillon indispensable du système global des transports de prisonniers et déportés élaborés par les nazis avec l’aide active du gouvernement de Vichy « .
L’homme tout-puissant de cette société, précurseur de la RAPT, se nommait Lucien Nachin (1885-1951), directeur des ressources humaines et donc à la tête des environ 25.000 employés, de 1940 jusqu’à sa mise à la retraite le 1er juin 1946.
Ce Lucien Nachin est le grand-père maternel de l’auteur, Jean-Marie Dubois, bien que les 2 hommes ne se sont pas connus, Nachin étant mort avant la naissance de son petit-fils.
Dans cet ouvrage, Jean-Marie Dubois et son épouse, Malka Marcovich, une féministe juive qui a perdu plusieurs membres de sa famille à cause des nazis, ont entrepris une longue et pénible enquête sur la part de responsabilité de ce « merveilleux pépé » comme l’auteur le surnomme à un certain moment.
Une mission délicate puisque le lieutenant-colonel Lucien Nachin est considéré comme un héros de la Première Guerre mondiale et a été un grand ami du général De Gaulle.
Le couple Dubois a tenu à découvrir son rôle exact dans la mise à la disposition des 3 600 autobus de sa compagnie pour le transfert des Juifs, résistants, communistes, gauchistes et autres opposants de Pétain à Drancy et de là vers les gares ferroviaires pour un ultime voyage en train pour les camps de la mort en Allemagne et en Pologne.
Pour mener à bien leur enquête les auteurs se sont basés sur des témoignages des membres de leur famille, évidemment peu enthousiastes, et surtout les archives restantes, car beaucoup de documents et de dossiers avaient été détruits au moment de la Libération.
La réticence de la famille était d’ailleurs d autant plus grande que Jean-Marie Dubois est un enfant illégitime de Micheline Nachin, la fille de Lucien, et est métisse.
Si la responsabilité de Lucien Nachin ne fait pas de doutes, il est incompréhensible qu’il ne fût jamais inquiété après la guerre et qu’un silence de plomb s’est installé autour de ce collaborateur zélé jusqu’au bout, tandis que ses collègues à la direction de la STCRP ont bel et bien été sanctionnés.
La plus grande qualité de cet ouvrage réside dans le courage de Jean-Marie Dubois et Malka Marcovich d’avoir, pendant 2 longues années, poursuivi une enquête sur une des pages les plus sombres de l’histoire de France.
Le style et le langage de ce livre ne sont peut-être pas très littéraires, mais les auteurs se sont laissés guider dans leur enquête par les ouvrages importants sur le transport scandaleux d’innocents vers la mort et dont une liste figure en fin de volume.